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    Sur les photographies du Mont-Valérien

    Publié le 20 février 2025

    L’historien Denis Peschanski revient sur les trois photographies de l’exécution du groupe Manouchian par les nazis au Mont-Valérien, le 21 février 1944.

    Tout commence, ou presque, quand un militant de la mémoire, Alain Simonnet, découvre en couverture d’un numéro hors-série de L’Humanité de février 2007 consacré à l’Affiche rouge, la photo d’une exécution au Mont-Valérien. Personne, et le journal non plus, ne sait qui sont les quatre fusillés, ni à quelle date ils ont été exécutés. La coïncidence veut que le numéro soit vendu avec le DVD du documentaire La Traque de l’Affiche rouge, dont j’étais co-auteur avec un vieux complice, Jorge Amat, qui en avait assuré la réalisation.

    Intrigué, Alain Simonnet s’adresse à L’Humanité, qui le renvoie à l’ECPAD. Au fort d’Ivry-sur-Seine, il n’obtient pas plus d’information sur le contenu du cliché, mais on lui montre les deux photos qui complètent la série et on lui donne les coordonnées de Dieter Lanz, responsable du Franz Stock Komitee für Deutschland qui détiendrait les négatifs. L’ECPAD ne conserve en effet que les contretypes de trois tirages prêtés en juin 2005 par le père Jean-Louis Macron, aumônier militaire catholique (qui a dans son ressort le Mont-Valérien et le fort d’Ivry, site de l’ECPAD) et membre de l’association française Les Amis de Franz Stock. La référence est d’importance : Franz Stock était depuis l’automne 1940 aumônier dans les prisons parisiennes de la Wehrmacht et a accompagné la majorité des condamnés à mort exécutés au Mont-Valérien. Deux associations sœurs, allemande et française, entretiennent donc aujourd’hui la mémoire de l’abbé Franz Stock, qui a donné son nom à l’esplanade du Mont-Valérien où se déroulent chaque année les commémorations de l’Appel du 18 juin.

    Répondant le 13 mai 2007 au courrier que lui adressait Alain Simonnet, Dieter Lanz lui envoie quelques documents « concernant l’affaire Manouchian et leur exécution le 21 février 1944 », et en particulier ces trois photos. Il lui révèle que c’est un certain Clemens Rüther, alors sous-officier dans la Feldgendarmerie allemande, qui a pris clandestinement ces photos au moment de l’exécution. Il a été convaincu en 1985 par son ami Karl Föster de donner ces photos au Comité Franz Stock, ce qu’il fait en y joignant un rapport.

    Exécutions de Georges Cloarec, Rino Della Negra, Cesar Lucarini et Antonio Salvadori, résistants Francs-Tireurs et Partisans de la Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI) du « groupe Manouchian ».
    Mont-Valérien (Hauts-de-Seine), 21 février 1944. © Clemens Rüther/ECPAD/Défense
    Avec l’aimable autorisation de l’association Les Amis de Franz Stock – Franz Stock Komitee
    Réf. : D90-1

    Ancien des jeunesses catholiques, antinazi comme son ami Karl Föster, Rüther y explique qu’à la fin 1942 il a été envoyé avec une cinquantaine de soldats au fort de Nogent-sur-Marne. Après six mois de formation, il a été mis à la disposition du commandant du Grand Paris. C’est lui qui dirige l’escorte qui accompagne trois jours durant, de Fresnes à l’hôtel Continental où ils sont jugés, les résistants du procès qu’on appelle depuis le procès de l’Affiche rouge (23 sont condamnés à mort, dont Missak Manouchian). Il les ramène à Fresnes avant d’emmener les 22 hommes au Mont-Valérien le 21 février 1944 pour être exécutés (pour mémoire, les Allemands n’exécutaient pas de femmes en France et Golda Bancic fut envoyée à Stuttgart pour être exécutée le 10 mai suivant ; c’est d’ailleurs à Alain Simonnet et à ses interventions auprès de l’Office national des anciens combattants que l’on doit en 2011 (!) la reconnaissance de Golda Bancic comme « Morte pour la France »). C’est là qu’il prend le risque de prendre les photos des exécutions d’une partie du groupe, depuis la plateforme qui surplombe la clairière.

    Alain Simonnet décide donc de confier photos, récit et contacts au Mémorial de la Shoah, à Léon Tsevery, un ancien de la MOI qui travaille à cette mémoire avec Serge Klarsfeld, président des Fils et Filles des Déportés Juifs de France, ainsi qu’à Arsène Tchakharian pour son livre Les Commandos de l’Affiche rouge.

    Je n’aurais rien su de cette préhistoire de la découverte si, à l’occasion de la préparation de l’exposition Des étrangers dans la Résistance (Mémorial de la Shoah, février-octobre 2024), dont j’assurais le commissariat avec Renée Poznanski, je ne relevais, étonné, que ledit Mémorial créditait ces photos : « don Alain Simonnet ».

    Pour autant l’identification de ces photos fit grand bruit quand Serge Klarsfeld les rendit publiques, via l’AFP et Libération, en décembre 2009. Il est vrai qu’avec Léon Tsevery il s’était attelé à fournir le vrai nombre d’otages et résistants exécutés au Mont-Valérien (une plaque indique toujours 4 500, alors qu’il y en eut un peu plus de 1 000, ce qui en fait déjà le principal lieu d’exécution en France) et avait également mis en évidence la surreprésentation des juifs parmi les fusillés.

    Rappelons que le procès a abouti à 23 condamnations à mort, dont 22 furent exécutées au Mont-Valérien. En effet, les Allemands n’exécutant pas de femmes en France, Golda Bancic fut envoyée à Stuttgart pour y être guillotinée.

    Le minutage précis de l’exécution des 22 (qu’on retrouve dans les archives du procès, très maigres, conservées au Service historique de la Défense : SHD-V GR 28 P 8 53 297 Manouchian, et qu’Alain Simonnet a retrouvé, dans son intégralité, dans les actes de décès des archives municipales de Suresnes) permet de compter six salves, cinq de quatre puis une de deux d’entre les fusillés, de 15 h 22 à 15 h 56 ce 21 février 1944. On notera que le peloton est exceptionnellement fourni, puisqu’on compte une quarantaine de soldats. Sur l’une des photographies, on repère en outre deux silhouettes de dos, celle de l’aumônier Franz Stock, le plus visible, et celle du médecin militaire.

    Ces photos ont une importance majeure puisqu’il s’agit des seules photographies prises d’une fusillade au Mont-Valérien.

    Exécutions de Celestino Alfonso, Joseph Boczow, Emeric Glasz et Marcel Rajman, résistants Francs-Tireurs et Partisans de la Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI) du « groupe Manouchian ».
    Mont-Valérien (Hauts-de-Seine), 21 février 1944. © Clemens Rüther/ECPAD/Défense
    Avec l’aimable autorisation de l’association Les Amis de Franz Stock – Franz Stock Komitee
    Réf. : D90-2
    Exécutions de Thomas Elek, Mojsze Fingercweig, Jonas Geduldig et Wolf Wajsbrot, résistants Francs-Tireurs et Partisans de la Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI) du « groupe Manouchian ».
    Mont-Valérien (Hauts-de-Seine), 21 février 1944. © Clemens Rüther/ECPAD/Défense
    Avec l’aimable autorisation de l’association Les Amis de Franz Stock – Franz Stock Komitee
    Réf. : D90-3

    Horaire des exécutions reconstitué par Alain Simonnet à partir des registres de décès de la mairie de Suresne. Il évoque 6 salves pour les 22.

    Fontanot Spartaco – 15 h 22
    Manouchian Missak – 15 h 22
    Rouxel Roger – 15 h 22
    Witchitz Robert – 15 h 22

    Cloarec Georges – 15 h 29
    Della Negra Rino – 15 h 29
    Lucarini Cesar – 15 h 29
    Salvadori Antoine – 15 h29

    Alfonso Celestino – 15 h 40
    Boczor Joseph – 15 h 40
    Glasz Emeric – 15 h 40
    Rayman Marcel – 15 h 40

    Elek Thomas – 15 h 47
    Fingerweig Maurice – 15 h 47
    Geduldig Jonas – 15 h 47
    Wajsbrot Wolf – 15 h 47

    Goldberg Léon – 15 h 52
    Manoukian Arpen – 15 h 52
    Szapiro Salomon – 15 h 52
    Usseglio Amedeo – 15 h 52

    Grzywacz Szlama – 15 h 56
    Kubacki Stanislas – 15 h 56

    On ajoutera que trois étudiants, non communistes, sont fusillés le même jour, à 15 h 16 :

    Georges Geoffroy, Pierre Le Cornec et Yves Salaun.

    Denis Peschanski

    Président du conseil scientifique de l’ECPAD

    Pour en savoir plus

    Témoignage de Clemens Rüther.

    Antoine Grande, « 21 février 1944, photographier une exécution au Mont-Valérien », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe [EHNE], 25 novembre 2023.

    Jean-Baptiste Romain (dir.), Mont-Valérien, un lieu d’exécution dans la Seconde Guerre mondiale : Mémoires intimes, Mémoire nationale, Rennes, éditions Ouest France, 2022.

    « Serge Klarsfeld rend publiques les premières photos d’exécution du Mont Valérien (dont celle de Marcel Rayman) et démontre leur authenticité », Bulletin de liaison des Fils et Filles des Déportés Juifs de France, n° 106, janvier 2010.

    Les archives de l’ECPAD sont consultables à la médiathèque du fort d’Ivry et en ligne sur ImagesDéfense.