Trois questions à Nina Barbier, réalisatrice de Jeunesses volées.
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coproduction
Publié le 4 octobre 2022
Le film Jeunesses volées, réalisé par Nina Barbier et coproduit par Day for Night productions et l’ECPAD, sera diffusé pour la première fois sur France 3 Grand Est le 27 octobre à 22 h 45. La réalisatrice revient sur la production de ce documentaire et sa collaboration avec l’établissement.
1 – Pourriez-vous revenir sur l’origine de votre documentaire Jeunesse volée? En quoi ce film possède-t-il une dimension à la fois personnelle et universelle?
Étant fille de « Malgré-elles », cette histoire me suit depuis le jour où, adolescente, j’ai découvert des photos de ma mère en uniforme sous le drapeau nazi. Originaire de Châtenois, un village sur la route des vins d’Alsace, ma mère alors âgée de 19 ans, a dû partir en Allemagne en 1942 pour le « Reichsarbeitsdienst », le service obligatoire du Reich. En 1998, j’ai réalisé pour France 3 Alsace un premier documentaire, Les Malgré-elles, sur cette histoire. Le film comportait essentiellement des témoignages d’incorporées de force, dont ma mère Cécile, et retraçait leur parcours pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que leur combat pour la reconnaissance. Vingt-cinq ans après, alors que les femmes ont été reconnues comme « incorporées de force en territoire ennemi » en 2008, ce nouveau documentaire revient sur cet épisode de façon plus personnelle avec les témoignages des dernières Malgré-elles et des archives allemandes inédites. Mais cette fois, c’est moi qui déroule et porte le récit et me met en scène pour un dernier hommage à ma mère partie en 2010 et aux milliers d’Alsaciennes et Mosellanes longtemps restées dans l’ombre. En ce sens, Jeunesses volées évoque une histoire familiale personnelle pour s’intégrer dans l’Histoire avec un grand H.
2 – Quel a été l’apport des fonds de l’ECPAD au film? Avez-vous été marquée par une archive en particulier?
Les archives de l’ECPAD, provenant du fonds allemand, sont essentielles dans ce film. Elles apportent de la densité et de la profondeur aux récits des incorporées et, me semble-t-il, donnent au film une dimension universelle. Cécile Fernandez, la chef monteuse, et moi-même avons apprécié notre collaboration avec l’ECPAD, en particulier avec le documentaliste Nicolas Férard, responsable du fonds allemand, qui a été très à l’écoute et qui nous a aidées à trouver l’archive la plus pertinente afin d’illustrer notre propos. Jeunesses volées est un trésor d’archives inédites sur les femmes pendant la Seconde Guerre mondiale, des images jamais montrées à ce jour. Pour moi, il était très important de les faire vivre, de ne pas se contenter de les monter de façon brute, sans lien avec le récit des femmes incorporées. Aussi, Cécile Fernandez a-t-elle réalisé un gros travail de sonorisation sur les archives, ce qui donne littéralement vie au récit. Une archive m’a particulièrement émue : il s’agit d’une actualité allemande tournée dans un camp de R.A.D. en 1944, où une cheftaine nazie souhaite à ses jeunes appelées un bon « KriegsHilfstDienst », le service d’aide à la guerre. Après les six mois de R.A.D., les jeunes filles vont partir travailler dans les usines de munitions de la Wehrmacht, comme aides à la Luftwaffe ou dans la Marine allemande. Il y a un côté bon enfant avec une musique désuète, mais en même temps on est au cœur de la guerre avec les drapeaux nazis, les saluts hitlériens et les uniformes allemands. Tout simplement glaçant !
3 – Qu’attendez-vous de la diffusion de ce film? Avez-vous d’autres documentaires en préparation?
J’espère que Jeunesses volées, réalisé en partie dans le cadre des 80 ans de l’incorporation de force en Alsace et en Moselle, saura toucher toutes les générations, en France et en Allemagne, et qu’il portera avant tout un message de paix dans le monde, essentiel en ces temps de conflit en Ukraine et de montée des nationalismes en Europe. Avec Jan Vasak, le producteur, nous espérons des sélections dans des festivals et des diffusions nationales, voire internationales. Des projections sont déjà planifiées en région Alsace, à Strasbourg et au Mémorial de l’Alsace-Moselle, à Schirmeck, qui est visité par de nombreux touristes, lycéens français et allemands. J’ai par ailleurs été contactée par le rectorat pour des projections et conférences dans les établissements scolaires de la région. Nous souhaitons que ce film soit vu par le plus grand nombre : certes, le sujet est régional mais je crois qu’il porte une thématique globale et met au premier plan un combat de femmes très actuel. J’ai des projets de films, souvent liés à l’histoire et aux sciences humaines qui me passionnent. Je prépare notamment un film dans les Outremers qui comportera des archives, peut-être de l’ECPAD… à voir !