Trois questions à… Aurélie Ledoux, maître de conférences au département des Arts du spectacle de l’Université Paris-Nanterre
Publié le 5 mai 2022
Aurélie Ledoux est la responsable du projet "La « preuve par l’image » : de la contre-histoire au complotisme", mené au sein de l’École universitaire de recherche Artec, et dont l’ECPAD est partenaire.
1 – Pouvez-vous nous présenter le projet La « preuve par l’image » : de la contre-histoire au complotisme auquel l’ECPAD est associé ?
Ce projet s’inscrit dans le cadre de la nouvelle École Universitaire de Recherche ArTeC. Il a pour objectif de reprendre et de repenser la question classique de la « preuve par l’image » à l’aune des pratiques contemporaines et en lien avec les évolutions technologiques, notamment la transformation des modalités de captation et de circulation des images à l’heure du numérique. Il s’intéresse en particulier au procédé qui consiste à réinterpréter des photographies ou des séquences filmées à partir de leurs détails ou de leurs marges, pour en faire apparaître un sens nouveau, possiblement à rebours du sens premier reçu. Ce procédé repose en effet sur l’idée que l’enregistrement photographique ou filmique est susceptible de saisir des éléments « au-delà » de l’intention qui guidait la prise de vue : dans la recherche du détail comme trace non intentionnelle, il y aurait donc la possibilité, selon le mot de Walter Benjamin, d’« écrire l’histoire à rebrousse-poil ». Ce projet, mené sur trois ans, cherche ainsi à penser la place spécifique de l’image photo-filmique dans la revendication et la promotion de ce qu’on pourrait appeler une « contre-histoire », notion dont la résonance politique appelle à élucider ses rapports non seulement avec l’histoire populaire ou la micro-histoire, mais aussi avec les démarches militantes dites de « contre-enquête » ou, plus problématiquement, de « réinformation ».
2 – Pour quelles raisons avoir sollicité l’ECPAD, au même titre que l’INA et l’AFP, comme l’un de vos partenaires ? Pouvez-vous revenir sur la table-ronde consacrée aux images de guerre et à leur réutilisation proposée par l’ECPAD dans le cadre de ce partenariat ?
Le partenariat avec l’ECPAD nous intéressait à la fois sur le plan scientifique et sur le plan pédagogique. Une des spécificités de l’EUR ArTeC consiste en effet à articuler les projets de recherche avec des modules de formation, qui sont proposés à nos étudiants au niveau du Master. Avec Cynthia Delbart, qui est monteuse professionnelle et ma collègue à l’Université de Paris Nanterre, nous avons ainsi mis en place un atelier de recherche-création qui vise à explorer la question de la « preuve par l’image » en réalisant un objet filmique court (entre 3 et 12 minutes). L’atelier fait écho aux axes du projet, qui portent à la fois sur des problématiques technologiques, médiatiques et historiographiques. Il nous paraissait particulièrement pertinent de travailler avec l’ECPAD, à la fois pour l’étendue et la richesse de ses fonds – souvent méconnus par nos étudiants en études cinématographiques –, et pour la facilité d’accès et d’usage que l’institution donne à ses images. Sur le plan scientifique, il y a également une concordance entre ce que le projet de recherche essaie de penser (le travail du regard sur les images, leur valeur de vérité et leurs usages dans des discours d’autorité) et la construction de strates médiatiques sur les archives de l’ECPAD, où les images prises en opération constituent un matériau premier qui sera lui-même repris, sélectionné et travaillé aussi bien par le regard journalistique de la télévision que par les documentaires historiques à différentes époques. Cet aspect était au cœur de la table-ronde proposée par l’ECPAD lors de la journée d’étude que j’organisais avec Marguerite Vappereau, historienne du cinéma et enseignante, à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) à Paris (« Preuve, indice, trace : approches historiennes / approches judiciaires de l’image », journée d’étude du 15 avril 2022). Véronique Pontillon, la responsable des actions scientifiques à l’ECPAD qui dirigeait cette table-ronde, avait ainsi choisi de mettre en regard le travail des officiers image lors de la guerre en Bosnie-Herzégovine avec deux films qui reprennent et utilisent ces images : tout d’abord Pour la paix en Bosnie, le documentaire de Dorothée Oldra qui, à travers les témoignages des jeunes soldats sur le terrain et les analyses que font aujourd’hui les décisionnaires de l’époque, cherche à donner une vision « de l’intérieur » de la participation de la France à ce conflit ; puis La nuit continue, le court-métrage réalisé en 2021 par Nolwenn Etard dans le cadre de l’atelier de montage d’archives du Master cinéma de l’Université Paris 1, qui confronte les images du siège de Sarajevo de l’ECPAD au journal d’un officier français pendant la guerre en Bosnie. Cette table-ronde donnait donc à voir différentes formes d’appropriation et de réinterprétation d’images d’archives sur un même événement.
3 – Quels ont été les résultats de l’atelier de recherche mené au sein de l’ECPAD, au fort d’Ivry, en avril 2022 ? Quels sujets ont été abordés lors de cette expérience ?
Les étudiants qui participent à cet atelier sont dans une démarche plus artistique qu’historienne : ils sont issus soit du Master ArTeC, soit du Master Cinéma de l’Université de Paris Nanterre, et se situent donc plutôt dans une perspective esthétique d’interrogation et d’exploration des moyens d’expression cinématographiques. Cet atelier est conçu pour expérimenter le pouvoir des images et la construction du sens grâce aux techniques du montage, y compris par la fabrication de petites fictions ou par la pratique du détournement. Nous les avons donc encadrés et aidés dans leur recherche, mais en leur laissant une grande marge de manœuvre. Il en résulte une grande diversité des propositions : certains projets cherchent à établir des parallèles et à saisir le retour de motifs identiques à travers différentes époques ; d’autres s’intéressent à la présence de ce qui excède le strict compte-rendu d’opérations militaires (une certaine manière de filmer les paysages, l’incongru, la présence de ruines…) ; d’autres enfin – et c’est sans doute le cas le plus fréquent – ont relié ces images à une histoire familiale, cherchant à les inscrire dans des récits plus personnels, comme l’histoire vécue par leurs grands-parents lors de la Libération ou de la guerre d’Algérie.
Pour en savoir plus, visitez le site de l’EUR ArTeC et leur présentation du projet.
Légende photo : Après la Libération, les enfants Grimault s’amusent sur un char Panzer V « Panther » abandonné, dans les environs de L’Aigle (Orne). Alexandre Grimault© ECPAD/collection. Référence : D143-4-1.